Résumé

Après la prise de Troie, Andromaque et son fils Astyanax deviennent les captifs de Pyrrhus. Celui-ci, secrétement amoureux de la veuve d'Hector, diffère son projet de mariage avec Hermione.

Les Grecs, irrités d'apprendre qu'Astyanax est toujours vivant, chargent Oreste de leur livrer l'enfant. Oreste saisit l'opportunité de retrouver Hermione, pensant que les tensions générées par cette présence ennemie lui seront favorables.

Pyrrhus, excédé de la résistance acharnée de la mère toujours en deuil, menace d'accéder à la requête des Grecs si Andromaque ne lui cède pas. Pour sauver son fils la Troyenne accepte de s'unir avec Pyrrhus. Fermement déterminée à se sacrifier après la cérémonie.

Hermione, apprenant la trahison de Pyrrhus, décrète qu'Oreste sera le bras armé de sa vengeance. Prêt à toutes les extrêmités pour obtenir l'amour de la fille de Ménélas, Oreste assassine le roi. Mais, contrairement à ce qu'il avait envisagé, Hermione, terrifiée par la mort de Pyrrhus (qu'elle vient d'ordonner) abandonne tout sentiment de haine et expie sa faute en mettant fin à ses jours auprès du roi. Oreste, réalisant l'horreur de son geste, sent le poids de la malédiction peser sur ses épaules.

Note : ******* (7/10)

Avis personnel

Andromaque est une tragédie basée sur des amours " à sens unique". Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime son fils Astyanax (en qui elle voit une "réincarnation" d'Hector).

Tout au long de la pièce, chacun utilisera ce noble sentiment comme moyen de pression ou de manipulation pour parvenir à ses fins. Ainsi Andromaque est invitée à choisir : Soit elle épouse Pyrrhus (et sauve son fils), soit elle refuse le mariage (et condamne son fils). Quant à Hermione, l'épouse délaissée, il ne lui reste plus qu'à se venger. Pour cela, elle exploite le penchant d'Oreste à son égard en lui faisant miroiter la possibilité d'une fuite en sa compagnie après le meurtre de l'infidèle et traître Pyrrhus.

Hélas, le pendant de ces amours est la trahison naissant de la sensation de rejet. Les vivants, comme les morts, sont victimes de ces ardeurs destructrices. Ne voit-on pas Andromaque trahir la mémoire d'Hector, même si elle invoque le fait qu'elle se marie avec Pyrrhus uniquement dans le but de sauver Astyanax et prévient qu'elle mettra fin à ses jours ensuite ? Rien ne garantit que Pyrrhus respectera sa parole après la mort d'Andromaque ! On pourrait même supposer le contraire : Pyrrhus n'a-t-il pas déjà trahi Hermione (sa fiancée officielle), la mémoire de son père Achille (et de tous les Grecs) en épousant l'ennemie aux pieds de laquelle il dépose la couronne d'Epire ? Oreste ne trahit-il pas les Grecs qui lui ont confié l'ambassade de ramener Astyanax dans le but de le juger et par là même d'entretenir une haine irréconciliable entre Pyrrhus et Andromaque ? Et Hermione qui détourne Oreste de cette mission à des fins vengeresses ne trahit- elle son pays en l'empêchant d'écarter du trône d'Epire un futur ennemi et en offrant à Andromaque la possibilité de succéder à Pyrrhus en commanditant la mort de ce dernier ?

Cependant, j'en retiens surtout l'excellente peinture du caractère d'Andromaque qui concilie tendresse maternelle et piété conjugale. La prisonnière troyenne devenue reine réconciliée avec Hector et Pyrrhus qui se confondent maintenant dans son esprit.

Et la malédiction finale d'Oreste délirant en proie aux les Erynnies auxquelles il associe Hermione, funeste responsable de ses malheurs. Avec le très célèbre "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes", une allitération en S qui imite parfaitement le bruit des fameux serpents.

Ugo Walten

Morceaux choisis

ORESTE [A1,Sc1]

J'apprends que pour ravir son enfance Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse, tandis qu'un autre enfant arraché de ses bras sous le nom de son fils fut conduit au trépas.

PYLADE (ami d'Oreste)

Il peut (*Pyrrhus), Seigneur, il peut dans ce désordre extrême, épouser ce qu'il hait et punir ce qu'il aime.

Vous vous taisez, Madame, et ce cruel mépris n'a pas du moindre trouble agité vos esprits !

HERMIONE

Fais-tu venir Oreste ?

CLEONE

Il vient, Madame, il vient, et vous pourrez juger que bientôt à vos pieds il allait se ranger ; prêt à vous servir sans espoir de salaire, vos yeux ne sont que trop assurés de lui plaire.

ORESTE (à Hermione) [Sc3]

Ah ! Madame ! (...) Avez-vous en effet souhaité ma présence ?

HERMIONE

Je veux savoir, Seigneur, si vous m'aimez.

ORESTE

Si je vous aime ? ô dieux ! Mes serments, mes parjures, ma fuite, mon retour, mes respects, mes injures, mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés, quels témoins croirez-vous si vous ne les croyez ?

HERMIONE

Vengez-moi, je crois tout. / Tous vos retardements sont pour moi des refus. Courez au temple. Il faut immoler...

ORESTE

Qui ?

HERMIONE

Pyrrhus.

ORESTE

Vengeons-nous, j'y consens, mais par d'autres chemins : Soyons ses ennemis, et non ses assassins ; Faisons de sa ruine une juste conquête.

HERMIONE

Ne vous suffit-il pas que je l'ai condamné ? (...) Qu'hermione est le prix d'un tyran opprimé ; Que je le hais ; enfin, Seigneur, que je l'aimai ? (...) Doutez jusqu'à sa mort d'un courroux incertain : S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain.

ORESTE

Laissez-moi vers l'autel conduire ma victime, je ne m'en défends plus ; et je ne veux qu'aller reconnaître la place où je dois l'immoler.

HERMIONE

Mais cependant, ce jour, il épouse Andromaque ! Dans le temple déjà le trône est élevé, ma honte est confirmée, et son crime achevé. (...) Il (Pyrrhus) me trahit, vous trompe, et nous méprise tous. (...) Conduisez ou suivez une fureur si belle ; Revenez tout couvert du sang de l'infidèle ; Allez : en cet état, soyez sûr de mon coeur. / Je m'en vais seule au temple où leur hymen s'apprête, où vous n'osez aller mériter ma conquête. (...) Et tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux de mourir avec lui que de vivre avec vous.

ORESTE

Non, je vous priverai de ce plaisir funeste, Madame : Il ne mourra que de la main d'Oreste.

HERMIONE

Allez. De votre sort laissez-moi la conduite, et que tous vos vaisseaux soient prêts pour notre fuite.

HERMIONE (à Cléone) [Sc4]

Que je me perde ou non, je songe à me venger. Je ne sais même encor, quoi qu'il m'ait pu promettre, sur d'autres que moi si je dois m'en remettre : Pyrrhus n'est pas coupable à ses yeux comme aux miens, et je tiendrais mes coups bien plus sûrs que les siens. (...) Va le trouver (Oreste) : dis-lui qu'il apprenne à l'ingrat qu'on l'immole à ma haine, et non pas à l'Etat.

PYRRHUS (à Hermione) [Sc5]

J'épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j'avoue que je vous ai promis la foi que je lui voue. (...) Mais cet amour l'emporte, et par un coup funeste, Andromaque m'arrache un coeur qu'ellle déteste.

HERMIONE

Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse sous la servile loi de garder sa promesse ? Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter ; et vous ne me cherchez que pour vous en vanter. (...) Me quitter, me reprendre, et retourner encor de la fille d'Hélène à la veuve d'Hector, couronner tour à tour l'esclave et la princesse, immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce ? (...) Vous veniez de mon front observer la pâleur, pour aller dans ses bras rire de ma douleur.

PYRRHUS

Je rends grâces au ciel que votre indifférence de mes heureux soupirs m'apprenne l'innocence. (...) Mes remords vous faisaient une injure mortelle. Il faut se croire aimée pour se croire infidèle.

HERMIONE

Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait ? J'ai dédaigné pour toi les voeux de tous nos princes. (...) Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? (...) Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux, va lui jurer la foi que tu m'avais jurée, va profaner des dieux la majesté sacrée.

PHOENIX (à Pyrrhus) [Sc6]

Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger un amante en fureur qui cherche à se venger.

PYRRHUS

Andromaque m'attend. Phoenix, garde son fils.

HERMIONE (monologue) [A5, Sc1]

Je tremble au seul penser du coup qui le menace ! Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce. (...) Mais plutôt le perfide a bien d'autres pensées : Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas. (...) Non, non, encore un coup, laissons agir Oreste.

CLEONE (à Hermione) [Sc2]

Je l'ai vu vers le temple, où son hymen s'apprête, mener en conquérant sa nouvelle conquête, d'un oeil où brillaient sa joie et son espoir, s'enivrer en marchant du plaisir de la voir.

HERMIONE

Le perfide ! Il mourra. Mais que dit Oreste ?

CLEONE

Oreste avec ses Grecs dans le temple est entré.

HERMIONE

He bien ! à me venger n'est-il pas préparé ? / Tu ne sais ? Quoi donc ? Oreste encore, Oreste me trahit ?

CLEONE

Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête ; le seul nom d'assassin l'épouvante et l'arrête. Enfin il est entré sans savoir dans son coeur s'il en devait sortir coupable ou spectateur.

HERMIONE

Je sais de quel remords son courage est atteint : Le lâche craint la mort, et c'est tout ce qu'il craint. (...) Allons : c'est à moi seule de me rendre justice. (...) Je ne choisirai dans ce désorde extrême : Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui- même.

ORESTE (à Hermione) [Sc3]

Madame, c'en est fait, et vous êtes servie : Pyrrhus rend à l'autel son infidèle vie.

HERMIONE

Il est mort ?

ORESTE

Il expire ; et nos Grecs irrités ont lavé dans son sang ses infidélités. (...) Chacun se disputait la gloire de l'abattre, je l'ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre, tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober, mais enfin à l'autel il est allé tomber. / Vous seule avez poussé les coups...

HERMIONE

Tais-toi, perfide, et n'impute qu'à toi ton lâche parricide. Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur, va; je la désavoue, et tu me fais horreur. (...) Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il fait ? A quel titre ? Qui te l'a dit ?

ORESTE

O dieux ! Quoi ? ne m'avez-vous pas vous même, ici tantôt, ordonné son trépas?

HERMIONE

Ah ! Fallait-il en croire une amante insensée ? (...) Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance ? (...) C'est toi dont l'ambassade, à tous les deux fatale, l'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.

ORESTE

Pour qui coule le sang que je viens de répandre ? (...) Pour une ingrate à qui je le promets... (...) Et l'ingrate en fuyant me laisse pour salaire tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire !

PYLADE (à Oreste) [Sc5]

Il faut partir, Seigneur. (...) Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis, ils la traitent en reine, et nous comme ennemis. Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle, lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle...

ORESTE

Partez : J'ai fait le crime, et je vais l'expier.

PYLADE

Hermione, Seigneur ? Il l'a faut oublier. (...) Et parce qu'elle meurt, faut-il que vous mouriez. / Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue un poignard à la main sur Pyrrhus se courber, lever les yeux au ciel, se frapper et tomber.

ORESTE

Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance ! Oui, je te loue, ô ciel, de ta presévérance ! Appliqué sans relâche au soin de me punir, au comble des douleurs tu m'as fait parvenir. (...) Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environ- ne ? (...) Quoi ? Pyrrhus, je te rencontre encore ? Percé de tant de coups, com- ment t'es-tu sauvé ? Eh bien, filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit ? Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ? Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne. Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione : L'ingrate mieux que vous saura me déchirer ; et je lui porte enfin mon coeur à dévorer.

PYLADE

Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants s'il reprenait ici sa rage avec ses sens.

FIN

Andromaque (1667), Tragédie de Jean Racine

theatre (resumes)

Andromaque (1667), Tragédie de Jean Racine